« Une ligne entraîne l’autre, toujours… je dessine quelque chose qui me donne subitement l’idée de dessiner quelque chose d’autre qui me donne aussitôt l’envie de dessiner, etc. Voyez-vous, je dessine, puis je réfléchis. Pour moi, c’est une activité littéraire, morale. »
Saul Steinberg

11.3.11

Retournement de situation

Maurice a quelque chose à dire à Léa mais Léa lit Henriette Jacoby, et n’y est que pour elle.
Pour lui faire remarquer son empressement sans trop la déranger, Maurice contrefait les manières de Ristourne dans ces occasions-là.
Il est rare que Léa soit dupe des non-dits de Maurice.
— Maurice, oui ?
— Écoute Léa, tu devrais lire ça.
— Tu veux dire « me lire ça ».
Cette transparence ne laisserait pas d’inquiéter si elle ne s’ouvrait vers des profondeurs inaccessibles.
— Lis-le toi-même Maurice.
Là où Léa est si subtile, Maurice donne dans l’outrance.
— « Quelle duperie de parler de ce qu’on aime ! Que peut-on gagner ? Le plaisir d’être ému soi-même par le reflet de l’émotion des autres. Mais un sot, piqué de vous voir parler tout seul, peut inventer un mot plaisant qui vient salir vos souvenirs. De là, peut-être, cette pudeur de la vraie passion que les âmes communes oublient d’imiter quand elles jouent la passion. Stendhal, Promenades dans Rome, 1829. »
Léa a fait la sourde.
— Tu peux me le répéter, pudiquement, sans tous ces gestes, que j’entende un peu.