« Une ligne entraîne l’autre, toujours… je dessine quelque chose qui me donne subitement l’idée de dessiner quelque chose d’autre qui me donne aussitôt l’envie de dessiner, etc. Voyez-vous, je dessine, puis je réfléchis. Pour moi, c’est une activité littéraire, morale. »
Saul Steinberg

11.3.11

Le dessin de José Muñoz au verso de la page

— « Dédée m’a téléphoné dans l’après-midi pour me dire que Johnny n’allait pas bien et je suis tout de suite passé le voir. Johnny et Dédée vivent depuis quelque temps dans un hôtel de la rue Lagrange, une chambre au quatrième étage. Rien qu’à voir la porte de la chambre, je devine que Johnny est dans la pire misère, la fenêtre donne sur une cour noire et, à une heure de l’après-midi, il faut allumer si l’on veut lire le journal ou voir à qui on parle.
Il ne fait pas froid mais je trouve Johnny enveloppé dans un couverture et calé au fond d’un fauteuil galeux qui perd de tous côtés de grands morceaux d’étoupe jaune. »
Léa s’est tue. La lecture à haute voix demande de l’anticipation, d’avoir toujours un coup d’avance. La phrase qui suit, Léa n’a pas envie de la lire à Maurice, elle est de celles qui perdent leur essence au-delà d’un écho intérieur.
Maurice l’a déjà lue.
Alain aussi.
« Ça, je suis en train de le jouer demain. » Cette formule, due à l’avatar de Charlie Parker décrit par Cortázar, Maurice l’avait vue se refléter sur la vitrine enguirlandée d’un bazar qu’il lessivait allègrement — emporté par l’esprit de Noël qui a pourtant le don de l’enrager. Son collègue Ibrahim y revivait el gran classico entre le Barça et le Real (5-0). Maurice envie parfois Ibrahim, qui l’appelle Angel Di Maria, « car on dirait toi ».
Alain l’a lu dans une édition illustrée où, à la tourne de certaines pages, il s’apprêtait à plonger dans un dessin en blanc et noir de Muñoz, qu’il jugeait extatique, dont la transparence du papier avait trahi la présence.