« Une ligne entraîne l’autre, toujours… je dessine quelque chose qui me donne subitement l’idée de dessiner quelque chose d’autre qui me donne aussitôt l’envie de dessiner, etc. Voyez-vous, je dessine, puis je réfléchis. Pour moi, c’est une activité littéraire, morale. »
Saul Steinberg

11.3.11

Jeu, set et match

Le tennis-barbe ne se pratique plus guère depuis la fin de la IIIe République. Allez savoir pourquoi alors que le tennis-tennis s’est considérablement développé. Alain et Maurice l’ont pratiqué jadis assidûment bien que leur grand-père Emmanuel les en dissuadât, leur racontant combien il était désagréable d’entendre chuchoté sur son passage 15, 30, 40, égalité ou jeu. Ces régalades de scores ne participaient pas de son formidable sens de l’humour ; ce n’est pas mon jeu favori, disait-il en insistant sur favori. Sa barbe illustre satisfaisait à bien d’autres drôleries comme de la décorer à la Charlemagne, avant qu’il entraîne Maurice et Alain à réciter les Carolingiens et toute la litanie de rois qui s’ensuivit, lui qui, par pur atavisme, n’en avait que pour la maison d’Autriche.

— « Pouvez-vous imaginer la position d’un homme qui va téléphoner à l’Empereur ! Ce n’était pas l’Empereur, il est vrai, mais vous savez, von T… est très genre surhomme. Ils sont tous comme cela dans sa famille. La lecture de la Généalogie de la Morale pousse les princes de la maison impériale vers l’accomplissement des buts conjugaux. C’est un fait. Il est, paraît-il, avéré que F. Nietzsche n’ignorait rien des ouvrages de Donatien Alphonse François, comte de Sade. »
Léa fut interrompue par l’irruption de Sara, suivie de son animal de compagnie.
La nouvelle conquête de Sara est barbue. Il n’est pas le premier de cet ordre, on compterait déjà plusieurs sets gagnants mais le match est loin d’être terminé. Il se nomme Walter, ce qui est plutôt un bon point ; hormis cela et sa barbe pareille à de la soie et à celle d’une pléthore de grands esprits, Walter est insignifiant. Autrement dit, la mèche, si tant est qu’il y ait mèche, fera long feu avant la fin de la promenade. On le perdra dans la nature sans s’occuper du déchirement de ses cris de détresse.