« Une ligne entraîne l’autre, toujours… je dessine quelque chose qui me donne subitement l’idée de dessiner quelque chose d’autre qui me donne aussitôt l’envie de dessiner, etc. Voyez-vous, je dessine, puis je réfléchis. Pour moi, c’est une activité littéraire, morale. »
Saul Steinberg

11.3.11

Neige en toute saison

— « De la bibliothèque scolaire je recevais ceux que j’aimais le plus. Dans les classes inférieures on les répartissait. Le maître de classe prononçait mon nom et puis le livre se frayait un chemin à travers les bancs, l’un le passait à l’autre ou bien il circulait au-dessus de nos têtes jusqu’à ce qu’il me fût parvenu, à moi qui avais levé la main. Ses feuilles étaient marquées par la trace des doigts qui les avaient tournées. La petite corde de reliure qui dépassait des deux tranches opposées était salie. Ces tranches formaient de petits escaliers et des terrasses. Car le dos, fatigués, avait renoncé à maintenir la couverture. »

Léa lisait avec tant de naturel que Maurice, occupé à épousseter la bibliothèque, crut qu’elle lui parlait de sa propre expérience.
Maurice tira un volume qui illustrait les dires de Léa, un livre anonyme faute de dos, souffla sur la gouttière et le tendit à Léa.
— Merci Maurice, plus tard.
« Entre les feuilles flottaient quelquefois, comme des fils de la Vierge entre les branches d’arbres, les faibles fils d’un filet dans lequel autrefois en apprenant à lire je m’étais laissé prendre. Le livre se trouvait sur la table beaucoup trop haute. En lisant je me bouchais les oreilles. À vrai dire, j’avais déjà entendu d’aussi silencieux récits. Non pas ceux de mon père. Mais ceux de la neige dont je suivais la chute devant la fenêtre dans la chambre tiède. »
Devant cette épiphanie de neige, Maurice eut scrupule d’y avoir opposé un méchant surcroît de poussière.