« Une ligne entraîne l’autre, toujours… je dessine quelque chose qui me donne subitement l’idée de dessiner quelque chose d’autre qui me donne aussitôt l’envie de dessiner, etc. Voyez-vous, je dessine, puis je réfléchis. Pour moi, c’est une activité littéraire, morale. »
Saul Steinberg

11.3.11

Une sœur rare et prodigue

Sara s’est souvenue de sa petite sœur. « Je me suis souvenue que tu existais ma grande. » Elle ne s’est pas annoncée. « J’étais dans les parages. » Sara ne fait jamais de programme, pas plus qu’elle ne sait avec qui elle passera la nuit : celui qui lui prend le bras à présent, Amadeo, « Je ne vous présente pas Amadeo », ou celui qui lui tiendra la porte tout à l’heure, Bakari, ou lui vendra des marrons chauds, Charlie.
Sara ne répond pas toujours aux lettres de Léa. Pour autant elle ne l’oublie jamais. Sa désinvolture est une posture.
— Que lis-tu là Léa ? chantonne Sara à la manière de Catherine Deneuve chez Jacques Demy.
— « Cette nuit-là aucun vent ne soufflait. Il neigeait. Le blanc ruissellement posait sur la nuit une pâle clarté. Tous les camarades nocturnes de Werner aujourd’hui se taisaient. Immobiles ils se laissaient recouvrir par les blancs flocons.
Werner lui aussi, immobile sur son tronc d’arbre, se laissait recouvrir. Le mouvement continu de la neige qui tombait lui donnait sommeil, le plongeait en le berçant dans un rêve éveillé. Des images très lointaines remontaient de l’enfance… »
— Vous avez mauvaise mine les petits, ça vous dirait qu’on aille se promener quelque part tant qu’il fait jour ?
Sara n’imagine pas que Maurice et Léa bougent du 87 boulevard de la Fraternité entre chacune de ses visites. Elle n’a pas tout à fait tort. Depuis qu’ils ont délaissé les jardineries, leurs sorties se font rares.
Le ciel plus jaune que gris laisse présager la neige.
Les marrons chauds ne seront pas de trop.

La voiture d’Amadeo est rouge, belle et rapide.