« Une ligne entraîne l’autre, toujours… je dessine quelque chose qui me donne subitement l’idée de dessiner quelque chose d’autre qui me donne aussitôt l’envie de dessiner, etc. Voyez-vous, je dessine, puis je réfléchis. Pour moi, c’est une activité littéraire, morale. »
Saul Steinberg

11.3.11

Ressemblances acrobatiques

— Tu te rappelles Maurice que Sara nous invite au cinéma ce soir ?
Maurice pense : « Quoi voir ? » ou plus précisément : « Quoi voir qui vaille la peine ? ».
Depuis qu’il a commencé l’écriture de son scénario, il n’est plus retourné au cinéma. Depuis qu’il vit avec Léa, il l’a toujours laissée aller avec Sara.
Maurice et Léa ne sont jamais allés au cinéma tous les deux.
Cette fois-ci, dans la mesure où il se laisserait convaincre, ce ne sera encore pas tous les deux, mais il y aura un léger mieux.
Maurice ne sait pas qu’il y a un nouveau Robin des Bois à l’affiche.
Maurice ne sait pas que Sara ne les invite pas à voir le nouveau Robin des Bois puisqu’il ignore qu’il y a un nouveau Robin des Bois, et puisqu’il ne peut y avoir qu’un seul Robin des Bois.
— Ah, c’est ce soir ?
Ce soir-là est un samedi soir. Léa referme Tristram Shandy, glisse en marque page la photo d’un Robert Walser jouvenceau, laissant pour la semaine prochaine les amours promises — et improbables — de l’oncle Tobie et de la veuve Tampon.

Au cinéma, malgré une cinéphilie de jeunesse des plus ardentes, Maurice n’a jamais retrouvé les émotions des films d’explorateurs (mis à part Errol Flynn, classé hors catégorie) où il entraînait son petit frère Alain au cinéma Le Crystral.
Sara explique à Léa, et à Maurice qui n’écoute pas, que ce serait dommage — elle ajoute lamentable — de rater la ressortie en copie restaurée de L’Acrobate de Jean-Daniel Pollet.
Sara trouve que le personnage principal ressemble à Maurice. Léa ne trouve pas, pas du tout, à part les qualités de danseur, qui la valse, qui le tango. Elle est vexée.
— Ah oui c’est vrai, Maurice ressemble un peu plus à Errol Flynn, dit Sara qui ne sait pas toujours retenir sa langue, on ne la changera pas.