« Une ligne entraîne l’autre, toujours… je dessine quelque chose qui me donne subitement l’idée de dessiner quelque chose d’autre qui me donne aussitôt l’envie de dessiner, etc. Voyez-vous, je dessine, puis je réfléchis. Pour moi, c’est une activité littéraire, morale. »
Saul Steinberg

11.3.11

Pour la bonne bouche

Maurice tire son caddie rempli de prospectus en traînant des pieds, comme ses semelles s’en plaignent. Il se rappelle sa mère. Les feuilles mortes bénéficieraient au tableau si ce n’était une pluie glaciale qui en font de la bouillie. Maurice espère la neige. Il se rappelle sa mère. Aux gueules des boîtes aux lettres se sont substitué celles des caniveaux. Maurice les guigne une à une, et remet à la prochaine.
Place de la Girafe, face à l’hôtel éponyme, sont alignées les grosses barriques du « tri sélectif » au grand dam de monsieur Roups « ça jure trop rapport à l’esthétique et surtout rapport au bruit », bien que, ajoute-t-il, « c’est bien pratique pour moi rapport au temps ». La nuit précoce favorisera le dessein de Maurice. Il laissera les caniveaux à leur devoir premier. La barrique jaune l’attend, comme promise. Il faudra insister pour y enfiler les liasses de prospectus de Mill’s 99, ouvert le dimanche pour mieux vous servir ! Elle saura mieux les digérer qu’elle n’a su les avaler.

À l’écoute du récit de Maurice, étonnamment disert pour la publicité de son exploit, Léa s’est rappelé une lecture récente.
— « L’obstination de la neige et des glaces me détournerait de moi-même et d’un passé dont je ne peux affirmer qu’il fut ce que je rêve, et surtout qu’il est le mien. Rien ne nous appartient de ce que nous semons dans la forêt des contes. Et ce que nous cueillons en quelque verger souverain que nous avions cru posséder par la splendeur de l’instant n’assouvit jamais nos soifs d’imaginaires, mais ne fait qu’altérer plus encore le tissu d’une existence hagarde. »