« Une ligne entraîne l’autre, toujours… je dessine quelque chose qui me donne subitement l’idée de dessiner quelque chose d’autre qui me donne aussitôt l’envie de dessiner, etc. Voyez-vous, je dessine, puis je réfléchis. Pour moi, c’est une activité littéraire, morale. »
Saul Steinberg

11.3.11

Patchwork à crédit

Maurice n’a pas dit à Léa qu’il a lu Martin Eden en son absence.
Le paragraphe que Léa lit à haute voix à l’adresse de Maurice, qu’elle croit avoir choisi pour des raisons qui lui appartiennent, des raisons qu’elle ne révèle jamais ni à Maurice ni à personne, pas même à Sara, a en fait été désigné par Maurice.


— « Les semaines passaient, Martin n’avait plus le sou et les chèques des éditeurs se faisaient attendre. Ses anciens manuscrits étaient revenus, puis repartis et son journalisme ne réussissait pas davantage. Ses menus devinrent d’une simplicité de plus en plus rudimentaire. Pendant cinq jours il vécut d’un demi-sac de riz et de quelques kilos de haricots secs. Puis, il tâcha de vivre sur son crédit. L’épicier portugais, jusqu’alors payé comptant, refusa toute avance, lorsque la note de Martin eut atteint la somme énorme de trois dollars quatre-vingt-cinq. »

Maurice est convaincu d’avoir orienté le choix de Léa. Il imagine être en train de composer un livre à partir de tous ces fragments, une espèce de patchwork dont lui seul connaît le motif final, un livre qui deviendrait l’orgueil de la bibliothèque des livres qui n’ont pas encore été écrits. S’il ne l’imagine pas encore, c’est qu’il manque quelques épisodes au feuilleton.