Dans la bibliothèque des livres qui n’ont pas encore été écrits, bien modeste pour une pareille destinée, Sara placerait volontiers les livres de Richard Brautigan, bien qu’ils aient été lus, ô combien ! En tout cas, dans la sienne, Sara a rangé les livres de Richard Brautigan à côté de la photographie de ladite bibliothèque dont la vocation première fut, semble-t-il, d’abriter des moutons.
Sara choisit une page, après beaucoup de ruses pour appâter Maurice et Léa.
— « Le type qui a écrit le livre, il s’appelait Mike, il avait fait un long voyage dans l’usine oubliée. Cent milles peut-être, et il est resté parti des semaines. Il est allé plus loin que ces pylônes qu’on aperçoit par temps clair. Il affirmait que derrière il y avait des pylônes encore plus haut.
Il écrivait un livre sur ce sujet, son voyage à l’usine oubliée. Ce n’est pas un mauvais livre, il était même bien meilleur que ceux que l’on trouve dans l’usine oubliée. Ce sont de fort mauvais livres. »
Sara amorça un peu plus loin, sûre de tomber sur un « bon coin ».
— « Hier après-midi, en descendant la route depuis Wells Summit, nous sommes tombés sur les moutons. Eux aussi, on les faisait avancer sur la route.
Un berger marchait devant la voiture, une branche feuillue à la main, poussant les moutons sur le bas-côté. Il ressemblait à Adolf Hitler, jeune et maigre, mais avait une bonne tête. »
Maurice imagina Richard Brautigan écrivant un scénario sur Richard Cœur de lion, s’entichant de la poésie courtoise des troubadours jusqu’à la déchiffrer du limousin d’origine, mais il ne pouvait l’imaginer.