« Une ligne entraîne l’autre, toujours… je dessine quelque chose qui me donne subitement l’idée de dessiner quelque chose d’autre qui me donne aussitôt l’envie de dessiner, etc. Voyez-vous, je dessine, puis je réfléchis. Pour moi, c’est une activité littéraire, morale. »
Saul Steinberg

11.3.11

Les hameçons américains

Dans la bibliothèque des livres qui n’ont pas encore été écrits, bien modeste pour une pareille destinée, Sara placerait volontiers les livres de Richard Brautigan, bien qu’ils aient été lus, ô combien ! En tout cas, dans la sienne, Sara a rangé les livres de Richard Brautigan à côté de la photographie de ladite bibliothèque dont la vocation première fut, semble-t-il, d’abriter des moutons.
Sara choisit une page, après beaucoup de ruses pour appâter Maurice et Léa.
— « Le type qui a écrit le livre, il s’appelait Mike, il avait fait un long voyage dans l’usine oubliée. Cent milles peut-être, et il est resté parti des semaines. Il est allé plus loin que ces pylônes qu’on aperçoit par temps clair. Il affirmait que derrière il y avait des pylônes encore plus haut.
Il écrivait un livre sur ce sujet, son voyage à l’usine oubliée. Ce n’est pas un mauvais livre, il était même bien meilleur que ceux que l’on trouve dans l’usine oubliée. Ce sont de fort mauvais livres. »
Sara amorça un peu plus loin, sûre de tomber sur un « bon coin ».
— « Hier après-midi, en descendant la route depuis Wells Summit, nous sommes tombés sur les moutons. Eux aussi, on les faisait avancer sur la route.
Un berger marchait devant la voiture, une branche feuillue à la main, poussant les moutons sur le bas-côté. Il ressemblait à Adolf Hitler, jeune et maigre, mais avait une bonne tête. »

Maurice imagina Richard Brautigan écrivant un scénario sur Richard Cœur de lion, s’entichant de la poésie courtoise des troubadours jusqu’à la déchiffrer du limousin d’origine, mais il ne pouvait l’imaginer.