« Une ligne entraîne l’autre, toujours… je dessine quelque chose qui me donne subitement l’idée de dessiner quelque chose d’autre qui me donne aussitôt l’envie de dessiner, etc. Voyez-vous, je dessine, puis je réfléchis. Pour moi, c’est une activité littéraire, morale. »
Saul Steinberg

11.3.11

Lecture à l’unisson

— « Au bout d’une heure environ, elle dit qu’elle avait envie de lire un peu le livre que le commis lui avait rapporté du village le jour même. La partie fut interrompue, la femme se mit à lire, tandis que Joseph qui n’avait pas envie de prendre un journal ou un livre, s’asseyait sur le lit de repos et commençait à regardait la femme en train de lire. Elle paraissait complètement plongée dans l’histoire que racontait le livre. D’une main, de temps à autre, elle caressait soigneusement un front qui semblait très pensif, tandis que ses lèvres se mettaient à bouger en silence, mais nerveusement, comme si elles avaient quelque commentaire à faire sur les événements de ce livre. À un certain moment, elle poussa même un soupir discret, mais anxieux, et l’on entendit nettement sa poitrine haleter. Quel spectacle silencieux et étrange ! Joseph s’absorbait de plus en plus dans la contemplation de la lectrice et il avait l’impression de lire, lui aussi, dans un grand livre au passionnant mystère, il éprouvait même le sentiment de lire précisément le même livre que Mme Tobler, dont le front, qu’il observait attentivement, paraissait curieusement lui transmettre et lui expliquer le contenu. »

Maurice et Léa se regardèrent, le temps de se rappeler l’un l’autre (ou de vérifier leur réalité concrète), — avant de poursuivre mezza voce jusqu’à :
— « Une fois arrivé sur la route, Joseph s’arrêta, tira de sa poche un petit cigare de Tobler, l’alluma et se retourna une dernière fois vers la maison. Il la salua en pensée, puis ils repartirent. »