— Souviens-toi, Maurice, de Simon.
Maurice est impassible. Il feint, nous le savons, Léa le sait. Une posture.
— Simon ? Quel Simon ?
Maurice ne connaît pas des millions de Simon vu qu’il ne connaît pas grand monde.
Léa voulut lui rafraîchir la mémoire.
La sienne le lui permettait.
— « Un beau matin, un jeune homme ayant plutôt l’air d’un adolescent entra chez un libraire et demanda qu’on voulût bien le présenter au patron. Ce que l’on fit. Le libraire, un vieil homme très digne, dévisagea avec attention ce garçon qui se tenait devant lui un peu gêné, et l’invita à parler. »
Maurice s’anime soudain, avec la brusquerie d’un automate de Vaucanson (et la même délicatesse, et la même vérité).
Une épiphanie.
D’une autre voix que la sienne d’ordinaire, plus limpide, il répondit :
— « Je veux être libraire, dit le jeune homme, c’est une envie que j’ai et je ne vois pas ce qui pourrait m’empêcher de la suivre jusqu’au bout. Je me suis toujours imaginé le commerce des livres comme quelque chose de merveilleux, un bonheur, et il n’y a aucune raison pour que j’en sois privé plus longtemps. Regardez, monsieur, comme je suis là devant vous, je me sens une extraordinaire aptitude à vendre des livres dans votre magasin, en vendre autant que vous pouvez en souhaiter. Je suis un vendeur-né : affable, vif, poli, rapide, parlant peu décidant vite, comptant bien, attentif, honnête, mais pas non plus aussi bêtement honnête que j’en ai l’air. »
