« Une ligne entraîne l’autre, toujours… je dessine quelque chose qui me donne subitement l’idée de dessiner quelque chose d’autre qui me donne aussitôt l’envie de dessiner, etc. Voyez-vous, je dessine, puis je réfléchis. Pour moi, c’est une activité littéraire, morale. »
Saul Steinberg

11.3.11

Épisode intérimaire

Maurice a toujours en tête l’idée de trouver un travail. Quand on connaît la tête de Maurice, on devine que la mise en œuvre sera tarabiscotée, comme, dirait Sara en cillant des paupières, d’aller de la coupe aux lèvres, il y a loin.
Il lui plairait, se surprend-il à croire, de vendre des vélos car « les magasins de vélos sont les magasins les plus beaux ». Les marchands de vélos sont des taiseux (les marchands de vélos bavards feraient mieux de vendre des autos, dans le vélo on ne se laisse pas embobiner). Souvent ils sont d’anciens champions, c’est sur la route qu’ils s’expriment ces types-là, avec leurs jambes — et, quand ils les ont bonnes, d’autant mieux. Mais Maurice n’est pas un ancien champion.
Maurice entre dans une agence d’intérim, boulevard de l’Égalité, en faisant un pas de côté comme s’il esquivait une gerbe d’eau projetée par un autobus, Gene Kelly éphémère, et non comme le fruit d’une décision qui aurait demandé trop de courage.
ON RECHERCHE PLÂTRIERS, PLAQUISTES, CARRISTES, CARRELEURS, SERVEURS (EUSES).
Serveur ?
Mégissier. On ne recherche plus de mégissier. En trouve-t-on seulement ? Grand-père Emmanuel était mégissier.
Une fois dans l’agence Maurice s’en repent. Les murs sont peints en vert olive. Sept personnes attendent. Une personne les reçoit, une femme. Elle a les ongles des doigts de pied nacrés.
Parmi les sept personnes qui attendent, une agite les bras. Maurice reconnaît Alain.
S’il avait surpris son frère cabriolant avec une femme, il n’aurait pas été plus confus.
Sitôt après dans la rue, Maurice n’est plus du tout sûr d’avoir vu Alain.

Alain est partout sauf dans une agence d’intérim.