« Une ligne entraîne l’autre, toujours… je dessine quelque chose qui me donne subitement l’idée de dessiner quelque chose d’autre qui me donne aussitôt l’envie de dessiner, etc. Voyez-vous, je dessine, puis je réfléchis. Pour moi, c’est une activité littéraire, morale. »
Saul Steinberg

11.3.11

Un côté fleur bleue

Alain est déçu. Il feint la désinvolture.
— Je l’ai lu jusqu’au bout pour savoir, on m’avait laissé entendre que c’était assez croustillant.
Monsieur Roups a vu Alain dévorer le livre la journée durant, oubliant le boire et le manger — et le raser.
— On aurait dit comme si vous êtiez amoureux, je vous jure.
— C’est mon côté fleur bleue, monsieur Roups, il m’arrive de le cultiver quand le cynisme m’ennuie. Je peux pousser le bouchon assez loin. Ah ! Si vous saviez…
Alain rit, pensant probablement à une de ses initiatives récentes.
— Ç’avait l’air passionnant quand même, ce bouquin ?
— Holà oui ! Les livres de qualité moyenne procurent souvent autant de plaisir que les livres de première importance.
Alain n’y a pas trouvé Joséphine. Pas une ligne sur cette créole racée dans les quatre cent trente-neuf pages. Jaloux, Tobias G. Smollett l’a gardée pour lui.
— Et puis, figurez-vous monsieur Roups que la situation se dénoue à Buenos Aires.
Alain paraît ému.
— Buenos Aires… Ça m’a rappelé de bons souvenirs, vous pensez bien.