« Une ligne entraîne l’autre, toujours… je dessine quelque chose qui me donne subitement l’idée de dessiner quelque chose d’autre qui me donne aussitôt l’envie de dessiner, etc. Voyez-vous, je dessine, puis je réfléchis. Pour moi, c’est une activité littéraire, morale. »
Saul Steinberg

11.3.11

Perdu puis retrouvé

Toujours avec le même air absorbé, l’ancien vieillard — sans qu’il en soit revenu pour autant, aux yeux de Léa, à la ressemblance de Maupassant — épuisait la bibliothèque en virtuose.
— Ah ! vous l’avez, évidemment, je m’en doutais un peu cela dit, nous sommes entre gens de bonne compagnie, n’est-ce pas ?
Une mimique agacée de Sara, vite réprimée, traduisait sa pensée qui pourrait être résumée par « cuistre un jour, cuistre toujours ».
— Permettez-moi maintenant de vous en lire un passage.
Il saisit le livre et y plongea avec une promptitude fulgurante.
— « Au premier moment je ne compris pas pourquoi j’hésitais à reconnaître le maître de maison, les invités, et pourquoi chacun semblait s’être “fait une tête”, généralement poudrée et qui les changeait complètement. Le prince avait encore, en recevant cet air bonhomme d’un roi de féerie que je lui avais trouvé la première fois, mais cette fois, semblant s’être soumis lui-même à l’étiquette qu’il avait imposé à ses invités, il s’était affublé d’une barbe blanche et, traînant à ses pieds qu’elles alourdissaient comme des semelles de plomb, semblait avoir assumé de figurer un des “âges de la vie”. Ses moustaches étaient blanches aussi, comme s’il restait après elles le gel de la forêt du Petit Poucet. Elles semblaient incommoder la bouche raidie et, l’effet une fois produit, il aurait dû les enlever. À vrai dire je ne le reconnus qu’à l’aide d’un raisonnement et en concluant de la simple ressemblance de certains traits à une identité de la personne. »