« Une ligne entraîne l’autre, toujours… je dessine quelque chose qui me donne subitement l’idée de dessiner quelque chose d’autre qui me donne aussitôt l’envie de dessiner, etc. Voyez-vous, je dessine, puis je réfléchis. Pour moi, c’est une activité littéraire, morale. »
Saul Steinberg

11.3.11

L’opacité d’un discours transparent

À l’hôtel de la Girafe où Alain a établi ses quartiers dans une chambre qu’il nomme à part lui « ma cabine », monsieur Roups, en l’occurrence le commandant du navire qui porterait mieux que personne le titre de pacha, se débat parmi des difficultés qui seraient comparables à une tempête tropicale si on voulait bien se contenter du premier euphémisme venu. Néanmoins, l’idée de présenter la note à Alain — l’aurait-il seulement comprise ? — ne l’effleura jamais.
Au 87 boulevard de la Fraternité où Maurice et Léa ont établi leur petit royaume au milieu des livres, un petit royaume au bord de la banqueroute, Maurice n’a pas trouvé de travail depuis que des clients vétilleux ont signalé des traces sur leurs vitrines. Son usage de la peau de chamois n’avait rien d’académique. L’idée de déchiffrer le sens caché de ce rébus, de vitrines et vitrines, — l’auraient-ils seulement compris ? — ne les effleura jamais.
« J’ai été, en somme, un ouvrier ordinaire ; j’ai travaillé, comme tout le monde, parce qu’il le fallait bien, et j’ai travaillé le moins possible. En revanche, j’étais intelligent. Dès que je le pouvais, je lisais, je discutais, et, comme je n’étais pas bête, il m’est venu une profonde insatisfaction, une révolte profonde contre mon sort et les conditions sociales qui me l’imposaient. »