« Une ligne entraîne l’autre, toujours… je dessine quelque chose qui me donne subitement l’idée de dessiner quelque chose d’autre qui me donne aussitôt l’envie de dessiner, etc. Voyez-vous, je dessine, puis je réfléchis. Pour moi, c’est une activité littéraire, morale. »
Saul Steinberg

11.3.11

Il manquait une scène d’action à cette affaire, toujours la même

Léa remarque un détail qui cloche chez Maurice.
— Maurice, tu ne me caches rien ?

Maurice lui offre alors son autre profil.
Léa n’a aucun goût pour l’inquisition.
Maurice ne peut vivre dans le mensonge. Il préfère se taire. Ici son mutisme ne cache rien, au contraire.
Léa soupçonne une histoire que lui dévoilerait ce même profil.
— Maurice, tu t’es battu. Tu t’es battu avec Alain. Tu as vu Alain à un arrêt de bus alors que tu le croyais reparti en Tasmanie, et tu t’es battu avec lui comme un chiffonnier. Tu as voulu récupérer l’enveloppe du loyer et tu as affronté ton frère comme les frères s’affrontent depuis Caïn et Abel. Tu lui as dit : « Rends-moi l’enveloppe que je t’ai donnée tout à l’heure, s’il te plaît, c’était l’argent du loyer. » Si tu ne lui as pas dit ça, si aucun mot n’est sorti de ta gorge, si ton regard était suffisamment éloquent qu’il l’a compris comme ça et qu’il t’a nargué, qu’il a ri de ce misérabilisme d’une autre époque, et tu n’as pu contrôler tes nerfs et tu l’as frappé, en réponse à la dérouillée qu’il t’avait filée il y a trente ans, confondant soudain deux époques.

Léa a de l’imagination. Pardi ! Elle lit trop de livres !
Maurice sourit, d’un côté seulement mais il sourit.
— Maurice, j’espère seulement que tu ne t’es pas battu pour moi.
Léa reprend sa lecture. Elle ne tourne pas une seule page avant longtemps, et quand elle finit par en tourner une, c’est à rebours.
— Dis-moi, Maurice, et si tu ne lui as pas dit comme ça, sans aucun mot, ni avec la seule force de ton regard mais avec des paroles infiniment plus violentes que toutes celles que je pourrais imaginer, et qu’il ait refusé le combat, et qu’il ait fui pour échapper à cet ouragan, et que tu l’aies poursuivi, et que tu l’aies acculé dans un impasse et laissé de lui que ruines et désolation.