« Une ligne entraîne l’autre, toujours… je dessine quelque chose qui me donne subitement l’idée de dessiner quelque chose d’autre qui me donne aussitôt l’envie de dessiner, etc. Voyez-vous, je dessine, puis je réfléchis. Pour moi, c’est une activité littéraire, morale. »
Saul Steinberg

11.3.11

Chronodrome

Pendant ce temps
(si cette expression convient à la situation),
sur un banc,
Alain lit (lisait) (lira) un livre « emprunté » lors de sa dernière visite à Joséphine
(comme il l’appelle à part lui).
« J’eus soudain l’impression (ce qui d’après les psychologues correspond à un état de fatigue) d’avoir déjà vécu ce moment. À l’autre extrémité de mon banc, quelqu’un s’était assis. J’aurais préféré être seul, mais je ne voulus pas me lever tout de suite, pour ne pas paraître discourtois. L’autre s’était mis à siffloter. C’est alors que m’assaillit la première des anxiétés de cette matinée. Ce qu’il sifflait, ce qu’il essayait de siffler (je n’ai jamais eu beaucoup d’oreille) était l'air populaire de La Tapera d’Elias Regules. Cet air me ramena à un patio, qui a disparu, et au souvenir d’Alvaro Melian Lafinur, qui est mort depuis si longtemps. Puis vinrent les paroles. Celles du premier couplet. La voix n’était pas celle d’Alvaro. Je la reconnus avec horreur. »
Où le Borges de 1969 à Cambridge, celui situé au nord de Boston, rencontra l’autre Borges, cinquante ans plus tôt « à Genève, sur un banc, à quelques pas du Rhône. Ce qui est étrange c’est que nous nous ressemblons, mais vous êtes plus âgé, vous avez les cheveux gris. »
Alain eut l’impression d’avoir déjà vécu ce moment : au fin fond de la Tasmanie, ou bien, dans quelques années, le vivra-t-il à San Carlos de Bariloche qu’il finira bien par atteindre, après une escale à Buenos Aires.

Pendant ce temps, Léa cherche pour en lire une nouvelle à Maurice.
(En l’occurrence, le mot « nouvelle » convient-il ?)
— « Mon récit sera fidèle à la réalité ou, du moins, au souvenir que je garde de cette réalité, ce qui revient au même. »